samedi 31 août 2013

Envoûtement céleste

En attendant Spinoza, je vous raconte ça comme ça pour rien, histoire de faire une pause, mais sans pub; alors voilà, j’étais bien assis sur ma galerie (mon balcon quoi), au soleil, le vent frais, bruissements délicieux, tout ça… Je tenais Rimbaud à la main (enfin vous voyez ce que je veux dire) et j’ai bien vu que je n’étais pas poète. Les gradations, les nuances infinies de bleu, les violets et les oranges au-dessus de ma tête… C’est fatal. Mon regard s’arrache aux mots – toujours ce même sentiment : l’univers sollicite ma dissolution pour célébrer son éclosion à travers mon épiphanie. Je sais bien, ça ne veut rien dire mais j’ai pas pu résister, pour le son… Non, je veux parler de l’infini qu’on ressent, pas celui qu’on pense (bon, pas la peine d’en faire la démonstration, je me doute bien qu’il suffit d’y penser assez longtemps pour conclure inévitablement que l’infini ressenti est un leurre – pour la pensée). Je ne sais pas si vous voyez ce que je veux dire, mais il y a des moments d’adhésion viscérale où l’on atteint la pleine conscience des incessants appels de l’univers. Oui, il me semble bien que l’univers nous invite sans relâche à l’expansion par le démantèlement. Et j’en arrive à ne plus douter que c’est précisément la constance et l’intensité de notre résistance (par le degré de concentration de l’énergie atteint) qui détermine l’impact et la portée du seul développement possible : la dispersion de soi dans le tout. Mais bon, je dis sans doute tout ça jusse parce que chus trop feignasse pour lire et que ch’préfère avaler les mouches en regardant le ciel…

samedi 17 août 2013

Déculturation poétique

« La poésie qui échappe à la culture, et dont les manifestations demeurent sauves, au sein de n’importe quelle absence de liberté, est une notion dont notre époque en pleine déroute spirituelle a depuis longtemps perdu la clef. Et il me paraît important de ne jamais parler de l’esprit que je considère comme absolument étranger aux systématisations de la culture, sans lui adjoindre cette notion de l’énergie poétique pure qui est devenue la flamme même de l’esprit. »

Antonin Artaud


vendredi 9 août 2013

Ma réponse au Dalaï-Lama (en guise de divertissement estival)

À une époque pas si lointaine, il était courant de recevoir par courriel des messages d’origines diverses qui avaient cette vertu prétendue qu’il suffisait de les faire parvenir dans un délai donné à un certain nombre d’amis pour, soit connaître le bonheur, soit éviter une malédiction ou une autre. Une connaissance – qui manifestement ne me connaissait pas tant que ça – eut donc l’idée saugrenue de me faire parvenir ce qui suit, accompagné des directives et mises en garde d’usage. Un message du Dalaï-Lama lui-même, était-il précisé. Téméraire en diable, je me contentai de lui retourner (et à l’ensemble des destinataires) une réponse toute personnelle destinée au légendaire bodhisattva, manière d’exégèse improvisée... Je précise que nul malheur ne m’accabla, quoi qu’on en dise, suite à ce sacrilège. Au contraire, c’est plutôt ce sporadique correspondant qui disparut comme par enchantement - oui, bon, l’incendie de mon appartement et la perte de mon emploi quelques jours plus tard n’ont strictement rien à y voir, pas plus que l’apparition soudaine de cette insoutenable brûlure accompagnant chaque visite à l’urinoir (là, je peux vous jurer que j’en connaissais très bien l’origine et croyez-moi, si elle avait présenté la moindre ressemblance avec le brave chef spirituel, si sympathique qu’il me fût, jamais j’aurais chopé un truc pareil!)… Voici donc, en primeur, cette modeste tentative herméneutique, à ce jour réservée à un public choisi par un étourdi dont c’est d’ailleurs le seul souvenir qu’il me reste – gloire lui en soit rendue!

INSTRUCTIONS POUR MENER VOTRE VIE

1. Tenez compte du fait que le grand amour et les grandes réussites impliquent de grands risques.

Mais n'oubliez tout de même pas que de grands risques n'impliquent ni amour ni réussite.

2. Lorsque vous perdez, ne perdez pas la leçon.

S'il se trouvait que vous la perdiez malgré tout, ne la cherchez pas en vain, c'est moi qui l'ai.

3. Suivez les trois R : Respect de soi-même; Respect des autres et Responsabilité de tous vos actes.

Et aussi le quatrième : Retournez vos bouteilles vides.

4. Souvenez-vous que ne pas obtenir ce que vous voulez est parfois un merveilleux coup de chance.

Ça c'est vrai, je peux en témoigner, même si c'est parfois douloureux : quand j'ai voulu rentrer dans la police, elle s'est tassée et... vous connaissez la suite.

5. Apprenez les règles pour savoir comment les transgresser correctement.

Par exemple : apprenez à interpréter le concerto pour clarinette de Mozart à la perfection et ne jouez systématiquement que « Marie avait un mouton » à la flûte à bec en omettant soigneusement le troisième « un mouton » à tous les coups.

6. Ne laissez pas une petite dispute meurtrir une grande amitié.

Mais ne vous privez pas non plus du bonheur d'une grandiose dispute pour une amitié à la noix.

7. Lorsque vous réalisez que vous avez commis une erreur, prenez immédiatement des mesures pour la corriger.

Spécialement si vous êtes tailleur ou arpenteur.

8. Passez un peu de temps seul chaque jour.

Autrement vous risquez des poursuites en justice pour « grossière indécence ».

9. Ouvrez vos bras au changement, mais ne laissez pas s'envoler vos valeurs.

Bref, ne tenez pas vos valeurs dans vos bras (surtout les titres, et par grand vent).

10. Rappelez-vous que le silence est parfois la meilleure des réponses.

No comment.

11. Vivez votre vie d'une façon bonne et honorable. Ainsi, lorsque vous vieillirez et que vous regarderez en arrière, vous en profiterez une deuxième fois.

Sinon, soyez une ordure faussement progressiste : ne regardez qu’en avant tout en profitant du fruit de votre malhonnêteté passée.

12. Un foyer aimant est la fondation de votre vie.

Un foyer d'accueil en est la destination.

13. Dans les désaccords que vous avez avec ceux que vous aimez, ne vous occupez que de la situation actuelle. Ne réveillez pas le passé.

Les historiens devront bien sûr éviter scrupuleusement de s'aimer entre eux.

14. Partagez votre savoir. C'est une manière d'atteindre l'immortalité.

Pour autant que ce savoir ne soit pas d'un mortel ennui.

15. Soyez tendre avec la Terre.

Ouais ben, on voit que c'est pas vous qui risquez de finir sous forte médication pour avoir fait des saloperies dans le jardin de la voisine.

16. Une fois par an, allez quelque part où vous n'êtes jamais allé auparavant.

Mais pas tous en même temps là quand même!

17. Souvenez-vous que la meilleure des relations est celle dans laquelle l'amour que chacun porte à l'autre dépasse le besoin que vous avez de l'autre.

Heu… attendez là, je suis un peu embrouillé. J’aurais besoin d’une autre à laquelle chacun devrait porter un amour qui dépasse mon besoin, c’est ça? Déjà, j’aimerais bien que chacun ait l’amabilité de foutre la paix à cette autre dont j’ai besoin. On va clairement l’exténuer si on s’y met tous. Chacun son tour, quoi, merde! 

18. Jugez vos succès d'après ce que vous avez dû sacrifier pour les obtenir.

Si j'ai sacrifié mes succès, je fais quoi?

19. Approchez l'amour et la cuisine avec un abandon insouciant.

Si vous voyiez le bordel dans ma cuisine, pour l'amour, vous y penseriez à deux fois...

Et mon bienveillant correspondant d’ajouter, pour conclure : Je sais aussi que les rêves se réalisent vraiment...

Ben oui, je le sais aussi : y suffit de rêver aux bons trucs. Tenez, je rêvais justement d’une panoplie complète de conseils bidon; et vous?



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(Avant que quelque ardent défenseur de l’harmonie universelle ne me jette l’anathème, je précise que je ne raille nullement le Dalaï-Lama lui-même, pas plus que son enseignement, mais simplement cette idée que la sagesse puisse se propager sous la forme d’une liste d’épicerie, douteusement traduite de surcroît…)

vendredi 2 août 2013

La première caractéristique des Grands Maîtres est que leur enseignement excède leur pensée

Je me souviens à ce propos d’un grand maître d’aïkido, laudateur méditerranéen de l’abyssale sagesse orientale. Il nous avait communiqué, lors d’un mémorable hiatus, tout le mépris qu’il vouait aux sourires en coin, ricanements et autres manifestations d’ironie, cette caricature d’humour pétrie d’ego, apanage des esprits encore inaptes à l’Éveil. Dans son dojo, seul le rire franc et ouvert était toléré! Déclaration que j’accueillis, candide adolescent que j’étais alors, sans réussir à réprimer un sourire aussi léger qu’inconvenant. C’est que, chacun ayant ses limites, le grand maître n’eut pas conscience que nul n’était besoin d’être passé maître soi-même en matière d’art dramatique pour réaliser ce que son propre rire « franc et ouvert » lui avait coûté d’efforts et de répétitions…